Publié le 8 mars 2006 dans La Croix
Les piétons, grands oubliés de la Sécurité routière
Si les chiffres de février sont très encourageants, le bilan 2005 montre
une dégradation de la sécurité en ville pour les piétons et les cyclistes
Jusqu'où peut-on aller dans la baisse de la mortalité en matière de sécurité routière ? Avec près de - 20% de décès par rapport à février 2005, le progrès est, selon le délégué interministériel à la Sécurité
routière, Rémy Heitz, "historique". "C'est la première fois que nous
connaissons un mois avec moins de 10 morts liés à la route par jour", se
réjouit-il. Il n'empêche. Rémy Heitz le souligne : on ne peut se
satisfaire de ce chiffre, aussi encourageant soit-il. "Nous devons
pouvoir au moins atteindre les résultats britanniques, c'est-à-dire
autour de 3 500 morts par an", estime-t-il. Pour les experts de la
route, il existe encore des "gisements" où trouver des vies à épargner.
C'est le cas des piétons et des cyclistes. Car, si les routes et les
autoroutes sont devenues plus sûres pour les automobilistes, il n'en est
pas de même pour tous, notamment en ville.
C'est ce qu'indique un bilan "affiné" pour les huit premiers mois de
l'année 2005 communiqué lundi par le ministère des transports.
Parallèlement au recul de la mortalité pour les automobilistes, celle-ci
s'est fortement aggravée pour les piétons (+ 15,1%) et encore davantage
pour les cyclistes (+ 17%). "Les progrès ont joué sur l'interurbain,
remarque Rémy Heitz. Nous allons devoir travailler bien plus sur la
ville, même si certaines ont fait de gros efforts, comme Chambéry,
Nantes ou Paris. Dans la capitale, la mortalité a diminué de moitié en
trois ans." Paris partait de 114 morts en 2001 pour arriver à 50 en
2004. Une situation aggravée l'an dernier avec 54 morts pour les seuls
10 premiers mois, dont une douzaine de piétons. Particulièrement des
personnes âgées. Les raisons pour lesquelles les seniors sont plus
vulnérables sont évidentes : ils sont moins vifs, parfois malentendants
ou malvoyants. Ainsi, sur les 550 piétons morts sur la chaussée en
France en 2004, 295 étaient âgés de plus de 60 ans.
Solange, 82 ans, habite boulevard Voltaire, dans le 11e arrondissement
parisien. "C'est devenu une autoroute urbaine, déplore-t-elle. Traverser
en dehors des feux rouges, même sur des passages protégés est maintenant
une épreuve. Même quand je suis engagée, certains automobilistes ne
ralentissent pas. On a l'impression qu'ils ne respectent même pas la vie
d'autrui..."
Ce manque de respect, Jean-Paul Lechevalier, président de l'association
Les droits du piétons, le dénonce souvent : "Les piétons veulent
reconquérir leur espace, et ce droit est bafoué. La preuve : certains
deux-roues qui n'hésitent pas à rouler sur les trottoirs ne sont même
pas verbalisés."
Y a-t-il moins de civisme en milieu urbain que sur les routes ?
Chercheur à l'Institut national de recherche sur les transports et la
sécurité, Jean-Pascal Assailly explique que les automobilistes ont
encore moins intégré les contraintes de la limitation de la vitesse en
ville que sur la route : "Lorsqu'on leur demande quelle vitesse leur
semble acceptable à respecter, ils répondent 140 km/h sur autoroute mais
70km/h en ville. Or, une telle vitesse en agglomération, avec tous les
obstacles qui peuvent surgir, peut avoir des conséquences dramatiques.
D'autant qu'avec la vogue des circulations douces, il y a davantage
d'usagers vulnérables. Les piétons mais aussi les cyclistes. Donc plus
de risques d'accidents."
Selon Pierre Gustin, le délégué général de la Prévention routière, il
faut non seulement accroître les contrôles en ville mais surtout
éduquer. "En Grande-Bretagne ou en Allemagne, dès qu'un piéton
s'approche de la chaussée, on ralentit", rappelle-t-il. A ses yeux, il
faut aussi revoir les infrastructures des passages protégés ou le
stationnement des deux-roues sur les trottoirs. Mais aussi penser aux
risques supplémentaires que font courir d'autres véhicules à quatre
roues : "Je pense aux 4x4 avec des pare-buffles. Un piéton n'a aucune
chance en cas de collision."
Pierre Gustin n'en évoque pas moins une nécessaire responsabilisation
des piétons eux-mêmes : "Je n'ai jamais vu un policier verbaliser
quelqu'un qui traverserait en dehors des passages protégés. Or, l'amende
existe : elle est de 4 €."
Michel Waintrop
A méditer...
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