La première crise mondiale de l'énergie doit remonter au temps de l'Empire romain, lorsque l'abolition de l'esclavage força bien des honnêtes gens à travailler de leurs mains aux tâches domestiques. La transpiration individuelle grimpa mais pas encore la température planétaire. L'huile de coude plutôt que l'huile de roche ou l'huile de riches : l'Antiquité était en avance sur son époque, et nous y revenons à grands pas à mesure que, de chocs en pics, faire le plein à la pompe vous siphonne le porte-monnaie à vitesse grand V.
Forcément, l'association est troublante. La cigarette recule quand le prix du paquet flambe. Les tensions pétrolières encore attisées par le mortel coup de vent de Louisiane nous mettront peut-être du plomb au lieu du sans-plomb dans la tête. Si on arrêtait ? Si on ne roulait plus en auto pour un oui ou pour un non ? Devant la flambée du brut, on entrevoit l'envie de s'en passer. De marcher. De pédaler. De prendre son temps puisque c'est cette frénésie de gagner du temps en auto, en avion - qui finit par rendre notre air irrespirable, nos finances bancales. Un vrai monde de brut.
L'énergie que nous consommons chaque jour sur la planète équivaut au travail de plus de trois cents milliards d'êtres humains. L'ancien ministre de l'environnement Yves Cochet l'affirme dans un livre au titre édifiant (Pétrole Apocalypse, chez Fayard). Pour souligner l'ampleur de cette débauche, Cochet emploie une image efficace : "C'est comme si chaque personne sur Terre avait à sa disposition cinquante esclaves." A 70 dollars le baril, on se demande qui, de l'homme ou de sa voiture, est l'esclave de l'autre.
Le discours dominant, celui de la globalisation et du libre-échange, nous fait nous pâmer devant les ananas d'Afrique. Sans même parler de commerce international, les habitants de Washington trouvent sur leur marché des têtes de laitue de Salinas (Californie) acheminées vers la capitale américaine après 5 000 km de bitume. "Pour ce seul transport, écrit Yves Cochet, cette laitue consomme 36 fois plus d'énergie (pétrole) qu'elle ne contient de calories." Et si d'aventure elle prend l'avion pour gagner Londres, elle consomme alors 127 fois l'énergie qu'elle contient.
Le député Vert de Paris fouette encore nos esprits avec l'histoire du ketchup suédois. Il recense les provenances diverses des intrants nécessaires à la culture des tomates. Il suit à la trace une bouteille de ketchup fabriquée en Grande-Bretagne ou en Suède avec des matériaux venus du Japon, d'Italie, de Belgique, des Etats-Unis et du Danemark. Pour conclure que l'arrivée de la sauce rouge sur la table suédoise "marque le terme de plus de cinquante-deux étapes de transformations et de transports".
Notre nourriture supporte ainsi des coûts cachés, des "kilomètres-aliments" qui nous font payer au moins trois fois ce que nous avons dans nos assiettes : à la caisse du commerçant et d'une ! , par les subventions consenties aux agriculteurs et de deux ! , par le coût de l'impact sur l'environnement et de trois !
Alors quoi ? Faut-il renoncer au ketchup, aux ananas et aux laitues venues d'ailleurs ? Ou se convaincre des mérites de la "sobriété énergétique" réclamée par Yves Cochet en commençant par laisser sa voiture au garage ?
Article paru dans l'édition du 08.09.05 par Eric Fottorino
ET beaucoup plus drole... A se tordre de rire :
L'équipe de France de football main sur le coeur en raison d'un canular
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