Refuser aux unions de même sexe le bénéfice d’une pension de veuf-ve est, dans certaines circonstances, une discrimination directe, selon un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) rendu hier, mardi 1er avril (lire l'arrêt ici, et le communiqué de la CJCE ici). Même s’il n’est pas généralisable, cet arrêt peut avoir de fortes implications en France.
Tadao Maruko a perdu son compagnon en 2005. Celui-ci, costumier de profession, était affilié à la caisse de retraite des théâtres allemands (la Versorgungsanstalt der deutschen Bühnen, VddB) qui octroie aux veuf-ves de ses assuré-e-s une pension dite «de survie». Tadao Maruko, lié au défunt par un partenariat civil allemand, équivalent à notre pacs, en a réclamé le bénéfice. Refus de la VddB : cette prestation n’est réservée qu’aux couples mariés.
Chargé de statuer sur la légalité de cette décision, le tribunal administratif de Munich a demandé à la CJCE de dire quelle interprétation la justice allemande doit faire du droit européen (demande de décision préjudicielle). La réponse n’allait pas de soi, car si, en matière de travail, le droit européen, et notamment la directive 2000/78/CE, prohibe explicitement les discriminations liées à l’orientation sexuelle, il n’est pas clairement indiqué :
- si le versement de prestations sociales entre dans le champ d’application de ladite directive ;
- si traiter différemment un couple de même sexe d’un couple de sexes différents est une discrimination, cette notion de droit s’appliquant jusqu’à maintenant plutôt aux individus, et non aux couples.
La réponse de la CJCE est — c’est le cas de le dire — sans appel. Certes, la directive invoquée exclut de son champ de compétence «les régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération.» Mais la Cour «reconnaît qu’une pension de survie prévue par un régime de pensions professionnel, créé par convention collective, relève du champ d’application de cet article.» «Seul le critère tiré de la constatation que la pension de retraite est versée au travailleur en raison de la relation de travail qui l’unit à son ancien employeur, c’est-à-dire le critère de l’emploi [...] ,peut revêtir un caractère déterminant» ajoute-t-elle.
Concernant la deuxième question, la Cour constate que la loi allemande assimile le partenariat civil au mariage concernant un certain nombre de prestations sociales. La cour juge ainsi que la directive s’oppose à «une réglementation […] en vertu de laquelle, après le décès de son partenaire de vie, le partenaire survivant ne perçoit pas une prestation de survie équivalente à celle octroyée à un époux survivant, alors que, en droit national, le partenariat de vie placerait les personnes de même sexe dans une situation comparable à celle des époux pour ce qui concerne ladite prestation de survie.»
L’arrêt de la CJCE demande donc au tribunal administratif de Munich «de vérifier si un partenaire de vie survivant est dans une situation comparable à celle d’un époux bénéficiaire de la prestation de survie prévue par le régime de prévoyance professionnelle géré par la Versorgungsanstalt der deutschen Bühnen.» Elle ajoute : «À supposer que la juridiction de renvoi décide que les époux survivants et les partenaires de vie survivants sont dans une situation comparable pour ce qui concerne cette même prestation de survie, une réglementation telle que celle en cause au principal doit en conséquence être considérée comme constitutive d’une discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle, au sens des articles 1er et 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78.»
Qu’en conclure ? Les juges ont bien pris soin de réserver leur décision à quelques circonstances particulières :
- cette décision n’est possible que parce que la pension de survie dépend directement de la relation de travail entre l’employé et son employeur, et s’apparente donc à une rémunération. Il en irait autrement pour une pension qui résulterait de la solidarité nationale, telle celle prévue par les régimes de base de retraite (comme la pension de réversion en France) ;
- cette décision n’est également possible que parce que, selon la loi allemande, le partenariat de vie ouvre des droits égaux au mariage en matière de prestations sociales. En France, il n’est pas sûr que l’on puisse dire que le pacs place systématiquement «les personnes de même sexe dans une situation comparable à celle des époux», et d’ailleurs, la Cour laisse le soin aux juges nationaux de le déterminer. Ceux qui prétendent que la pension de réversion serait ainsi juridiquement accessible aux pacsés vont donc un peu vite en besogne.
Pourtant, malgré toutes ces limites, cet arrêt aura des implications importantes, même en France.
http://societales.blogs.liberation.fr/alain_piriou/2008/04/la-justice-euro.html#more
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