Je ne pouvais pas laisser passer ça !
Sébastien Tellier est un génie. Iconoclaste, complexe, l’homme est en passe de réinventer la chanson française. Sur ses deux premiers albums, il explorait la famille et la politique. En paix avec lui-même, l’auteur de "La Ritournelle" s’attaque désormais au sexe. Produit par Guy Man, moitié de Daft Punk, son nouvel album, "Sexuality" (lire la critique de l'album par Thomas Rozec), est une larme de champagne qui glisse sur les hanches d’une femme. Un objet musical comme notre contrée en produit trop peu. Sébastien, la France te dit merci.
Pensez-vous pouvoir sauver la pop française?
Je ne sais même pas s’il existe une pop française. Ce mot est tellement loin de notre culture. Regardez ce qui marche en ce moment: la bonne variété, ou la "nouvelle scène française". J’ai l’impression de vivre dans une autre galaxie. Il faut être presque barjot pour écouter des trucs comme Olivia Ruiz chez soi. Ça fout un cafard terrible ce genre de musique. Tout d’un coup, tout devient triste et gris. Du faux art sérieux avec quarante ans de retard.
Comment expliquez-vous ce manque d’ambition?
Il s’agit d’une petitesse d’esprit, d’un blocage psychologique. Par
exemple, de nombreux chanteurs français tentent d’imiter Gainsbourg.
Erreur! La seule manière de soutenir la comparaison est d’être
totalement soi-même. Telle est la leçon du maître.
Tout en chantant en français, j’essaie d’atteindre des émotions hyper
fortes. J’essaie également de trouver un point d’équilibre entre
profondeur et superficialité. Un état d’esprit proche de "Twin Peaks",
la série de David Lynch. Quand j’entends un de mes morceaux chez
Champion, je suis ravi. J’adorerais pouvoir faire un truc hyper
élitiste qui plaise au grand public. Je n’ai pas envie de m’enfermer
dans le petit microcosme hype. Nous devons nous inspirer d’artistes
comme Polnareff ou Christophe qui ont réussi à faire de la musique
mainstream, sexy et intelligente.
Pour cet album, vous dites avoir cherché la note sexuelle. C'est-à-dire?
Un son qui accompagne une nuit d’amour: la fille débarque chez toi. Tu sors une bouteille de champ, tu balances une note sexuelle et là, ça devient torride. Comme par exemple, mon single "Sexual Sportswear", déjà dans les bacs.
Le sexe régit complètement notre société. Avant, c’était l’argent ou la politique. Désormais, tout est lié au sexe. J’adorerais vivre dans une société décomplexée par rapport à tout ça…
Comment s’est passée la collaboration avec Guy Man?
Au début, j’étais très impressionné. Ce mec est quand même un mythe. Je
craignais qu’il n’aime pas mes démos. Une fois en studio, tout a été
extrêmement naturel. Nous sommes totalement complémentaires. Lui, c’est
un artiste global alors que je suis davantage obsédé par la mélodie.
Guy Man est vraiment le King de la boite à rythme. Il l’utilise comme
une guitare. Le rythme est rapidement devenu le squelette de toute la
production.
Est-ce votre disque le plus abouti?
Ah oui, largement. C’est pratiquement un duo. Avant, j’avais un rapport
paranoïaque à ma propre musique, c’était extrêmement difficile pour moi
de l’écouter. Là, je suis vraiment apaisé. Mes deux premiers albums ont
été réalisés dans des états d’angoisse terrible. J’étais en permanence
au bord de la rupture, je pleurais. Ce n’est plus du tout ce que j’ai
envie de donner.
Grâce au succès de "La Ritournelle" vous êtes subitement devenu riche. Ça fait quel effet?
Tout d’un coup, j’ai eu l’impression de vivre dans un monde gratuit.
C’étaient des cris de joie, des ouvertures de bouteilles de champagne!
J’ai beaucoup aimé ça. Ensuite, il y a eu une seconde phase consistant
à se ruiner. J’ai vraiment essayé de me délester le plus possible du
fric. L’argent peut enfermer dans un certain confort et anesthésier la
créativité. L’essence de l’art réside dans le fait de se reconstruire
tout le temps.
Vous reconnaissez d’ailleurs avoir pété les plombs. Pas peur de replonger?
Non, car mes troubles étaient essentiellement dus à un trop plein
d’alcool. Il a suffit d’éradiquer les causes pour aller beaucoup mieux.
Tomber amoureux m’a sans doute sauvé: cela m’a tellement diverti que
j’ai pu tout oublier. Là, je sens que je suis à deux doigts de pouvoir
écrire un livre de bien être. Je rêve de devenir un homme équilibré…
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