J'adore cette lettre, je la partage avec vous :
Monsieur le Ministre,
Lors du dernier Conseil de Paris, vous avez proposé à l'adjoint au Maire chargé des Transports de venir passer deux heures avec vous, en compagnie du Préfet de Police, à un carrefour parisien pour y comptabiliser les infractions au Code de la Route commises par les cyclistes. Il est peu probable que Denis Baupin ou Pierre Mutz répondent favorablement à votre proposition, pour diverses raisons dont en premier lieu leur emploi du temps chargé.
Beaucoup de cyclistes s'étonnent d'une certaine agressivité à leur égard, et des critiques contre les rares aménagements faits en leur faveur. Ceux qui, comme moi, suivent depuis longtemps l'actualité parisienne en ce domaine, sont encore plus surpris lorsque ces critiques proviennent de membres de la majorité qui, par une forte volonté politique, a relancé l'utilisation du vélo à Paris. Ayant été adjoint au précédent Maire, vous n'ignorez sans doute pas que, contrairement à ce que beaucoup croient et que la presse laisse entendre, la très grande majorité des aménagements cyclables actuellement en service à Paris ont été construits sous la mandature précédente. S'il est compréhensible que l'actuelle majorité laisse croire que ces réalisations sont de son fait, je n'ai jamais compris pourquoi les auteurs de ces aménagements non seulement n'en revendiquent pas la paternité, mais ne cessent de les critiquer.
Pour en revenir à votre proposition, vous accepterez sans doute, si elle est sérieuse, de la réaliser, en lieu et place des personnes prestigieuses à qui vous l'avez faite, en compagnie du modeste président d'une association de cyclistes que je suis.
Vous ne serez pas surpris que je vous propose, en plus des infractions au code commises par les cyclistes, que nous relevions également celles commises par les autres usagers de la voirie. Nous commencerons par noter les automobiles garées sur des emplacements interdits ou réservés à certains usages, ainsi que sur des emplacements payants sans en avoir acquitté le prix. Nous relèverons également les vitesses supérieures à celles autorisées, contrôlerons l'arrêt des véhicules au feu orange, le franchissement de lignes continues, l'usage du téléphone au volant et de l'avertisseur sonore, la distance d'un mètre pour doubler un cycliste, la priorité laissée aux piétons sur les passages protégés, et observerons si aucun automobiliste ne s'engage dans un carrefour s'il n'est certain de pouvoir le dégager. Nous ne pourrons bien sûr vérifier ni le taux d'alcoolémie ni la possession d'un permis de conduire en cours de validité. Nous noterons les motos circulant dans les couloirs de bus ou dans les pistes et bandes cyclables, et celles roulant ou stationnant sur les trottoirs. Nous contrôlerons également que les piétons attendent bien, pour traverser une rue, que la figurine représentant un piéton soit verte, y compris si aucun véhicule n'est visible à l'horizon, Et bien sûr nous noterons les cyclistes brûlant des feux rouges, roulant sur des trottoirs ou prenant des sens interdits, suivant le fameux triptyque de ce qui nous est le plus souvent reproché.
J'attends donc que vous preniez contact avec moi, afin que nous fixions ensemble une date et un lieu pour l'expérience que vous avez suggérée. Sans préjuger des résultats de cette expérience, je vous livre dès maintenant les observations que j'ai à plusieurs reprises pu effectuer dans des conditions analogues.
Alors que le code de la Route devrait être la règle du jeu commune à tous les usagers de la voirie, dans les faits chaque catégorie d'usagers utilise une règle reprenant l'essentiel des dispositions de ce code mais en différant sur quelques points. Ces différences, dont j'ai cité quelques exemples dans un paragraphe précédent, sont spécifiques à chaque catégorie, qui en estime souvent le non-respect bénin et dont elle juge même parfois le respect injustifié. Le plus étrange est que, lorsqu'il/elle change de catégorie, chaque usager adopte le "code" propre à sa nouvelle catégorie, et estime injustifié ce qu'il/elle pratiquait auparavant: un automobiliste se garant "pour deux minutes" à cheval sur un trottoir et un couloir bus, traversant hors passage protégé pour aller chercher son jogging au pressing en face pourra, rentré chez lui et ayant enfilé son jogging tout propre, aller faire une balade à vélo en prenant à contre-sens ou sur le trottoir les quelques mètres de sa rue en sens interdit en expliquant qu'il évite ainsi un détour important et qu'il fait cette manoeuvre en respectant scrupuleusement les autres usagers. Automobiliste, il aura pesté contre les piétons qui traversent n'importe comment, expliqué qu'il a failli se payer un cycliste fou en sens interdit mais, cycliste, il aura maudit l'automobiliste, garé à moitié dans le couloir bus, qui l'aura mis en danger en l'obligeant à faire un écart et, surtout, aura ouvert sa portière juste devant lui. On pourrait multiplier ces exemples.
Il est donc probable que nous constaterons ensemble que chaque catégorie d'usagers de la voirie (et pas seulement les cyclistes) prend avec le Code de la Route certaines libertés, et qu'aucune catégorie n'est meilleure ou plus mauvaise qu'une autre. Tout juste me permettrais-je d'ajouter que, en cas d'accident dû aux libertés ainsi prises, les conséquences en sont en gros proportionnelles à la masse et au carré de la vitesse, ce qui ne donne pas la même responsabilité aux uns et aux autres.
Dans l'attente de votre réponse, je vous prie d'accepter, Monsieur le Ministre, mes meilleures salutations.
Abel Guggenheim
président de Vélo 15et7
http://velo15et7.free.fr
Commentaires