Un Portrait interressant...
Denis Baupin, 43 ans, adjoint vert de Bertrand Delanoë. Chargé des transports, il s'est mis à dos tout le lobby automobile en partant en guerre contre la voiture à Paris.
Auto-stop
Par Alain AUFFRAY (libération)
lundi 13 février 2006
Denis Baupin en 7 dates
2 juin 1962
Naissance à Cherbourg (Manche).
1984
Diplômé de l'Ecole centrale de Paris.
1987
Directeur de Terre des hommes.
1989
Adhère aux Verts.
1995
Elu dans le XXe arrondissement de Paris.
1997
Conseille Dominique Voynet au ministère de l'Environnement.
2001
Adjoint au maire de Paris chargé des transports.
Il avait un profil de gendre idéal. Comment prévoir qu'il allait se métamorphoser en tortionnaire d'automobilistes, ce fils de la petite-bourgeoisie normande, monté à Paris dans l'ascenseur social ? Avec ses grands yeux clairs et son allure de poussin ébouriffé, on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Et c'est sans hésiter que Bertrand Delanoë en a fait son adjoint aux transports.
Ex-conseiller de Dominique Voynet, son modèle en politique, Denis Baupin n'avait rien de la caricature de l'écolo dogmatique. Il anime l'aile pragmatique des Verts, celle qui prône l'alliance avec les socialistes pour peser, autant que faire ce peu, sur les politiques publiques.
Depuis bientôt cinq ans, Baupin pèse de toutes ses forces, avec obstination. Pour libérer Paris de la «dictature de la bagnole», il élargit les trottoirs, impose des pistes cyclables, des couloirs de bus et des «espaces civilisés». A grands renforts de feux tricolores et de sens interdits, il transforme de larges boulevards en lents chemins de croix pour automobilistes. Au fil des ans et des chantiers, l'exaspération a pris une dimension telle que la droite parisienne se prend à rêver. Denis Baupin, c'est le talon d'Achille de l'intouchable Delanoë. Si on ne l'arrête pas, ce «khmer vert», cet «ayatollah écolo» transformera Paris en un vaste quartier vert où s'égaieront, à bicyclette, des cohortes de bobos désoeuvrés. Le sarkozyste Claude Goasguen, député et conseiller UMP de Paris, raffole des «baupinades». «Au XVIIIe siècle, assure-t-il, Denis Baupin aurait interdit la circulation individuelle à cheval pour imposer la calèche collective». Pour lui, ce Baupin «est enfermé dans un système. Pour lui, Paris se divise en deux : il y a ceux qui ont une voiture, et ceux qui n'en ont pas. Il a un vrai contentieux avec l'individualisme. Le pire, c'est qu'il est sincère. A son propos, je pense à ce que disait Mirabeau de Robespierre : "Il ira loin, car il croit tout ce qu'il dit... Et il n'a pas de besoins."»
Et, c'est vrai, Denis Baupin combat l'automobile comme Robespierre les Girondins. Le maire adjoint aux transports n'a jamais eu de voiture. Il appelle les citoyens à se libérer de la gigantesque arnaque dont ils sont victimes : «Les constructeurs vous vendent des véhicules dont vous n'avez pas besoin. Vous roulez seuls 99 % du temps dans des engins conçus pour transporter une famille en vacances. Vous faîtes tourner un moteur surpuissant pour transporter inutilement plus d'une tonne de métal.»
Lui, il prend le métro. Et ce n'est que quand les circonstances l'imposent qu'il se résout à se faire conduire par un chauffeur. Il lui arrive de signer ses parapheurs à l'arrière de la voiture que la mairie met à sa disposition. Mais ça lui donne «mal au coeur».
A la mairie, la plupart des élus sont d'incurables automobilistes, «comme la majorité des décideurs mâles». Et ils ne sont pas «spontanément convaincus par les couloirs de bus», euphémise le champion des transports collectifs. Son arrondissement, le XXe, est dirigé par un maire, Michel Charzat, qui prend sa voiture, et le chauffeur qui va avec, pour rejoindre son domicile dans le XVIe.
Les autodépendants se sont déchaînés dès l'été 2001 quand Baupin obtint la fermeture provisoire des voies sur berge. «Jospin a appelé Delanoë pour s'en inquiéter. Heureusement, Bertrand a tenu bon.» Désormais, les berges ne sont plus seulement fermées à la circulation : elles sont chaque été transformées en plage. A l'Hôtel de Ville, Baupin porte la parole de la majorité silencieuse, qui ne roule «jamais» en voiture et qui est exclue des trois quarts de l'espace public.
Par-dessus tout, il déteste le 4 x 4, «cette caricature de voiture» qui garantit l'inviolabilité à son conducteur, pathologiquement individualiste. Il se sent «physiquement agressé» par la parade de ces blindés de luxe. Ça réveille l'antimilitariste qui sommeille en lui. Ce fut son premier engagement politique. Contrairement à la plupart des dirigeants écolos, Denis Baupin n'a jamais fréquenté l'extrême gauche. Trop jeune pour être au PSU ou chez les maos, il n'a pas non plus goûté au trotskisme. Il n'a pas 20 ans en 1981, quand il quitte sa ville, Caen, son père comptable, sa mère employée de mairie, pour intégrer la prestigieuse Ecole centrale. Ses camarades ingénieurs se préparaient «à faire un maximum de chiffre d'affaires en vendant un maximum de voitures». Il sent, lui, que ce n'est pas son truc. Il fréquente Amnesty International, s'inquiète du sort des victimes des dictatures, découvre Gandhi et se met même au régime végétarien. Baupin ne sera jamais militaire, ni ingénieur : en choisissant l'objection de conscience, il embrasse, sans le savoir, la carrière militante. Elle commence, loin de la politique, dans des ONG et la solidarité internationale.
Il devient Vert en 1989, après lecture du programme du parti d'Antoine Waechter : «J'ai constaté que j'étais d'accord sur tout.» Dominique Voynet, qui sait s'entourer, repère aussitôt la perle rare. Et le recrute à Bruxelles comme expert du tiers-monde auprès du groupe des Verts. Pendant dix ans, Baupin sera le plus efficace de ses conseillers. «Il a fait merveille au ministère de l'Environnement. Il produisait de bonnes synthèses, de bons discours», se souvient un membre du cabinet. Dans un parti brouillon, l'austère centralien fait exception. «C'est un gros bosseur, pas dilettante du tout, une rareté chez les verts !» constate le socialiste David Assouline.
De sa vie privée, ce «gros bosseur» confie qu'elle peut se résumer «à une succession d'histoires». Ni père, ni marié, il n'a «pas encore» choisi de se poser. Et reste rarement plus de deux ou trois ans locataire du même appartement. «Comme beaucoup d'hommes politiques, il ne résiste pas à son envie de séduire», raconte une élue parisienne.
En 2007, si la gauche gagne, il sera ministre. Ministre des Transports, bien sûr. «Il ne pense qu'à ça», dit-on chez les Verts. Baupin ne dément pas. Mais jure qu'il n'entrera pas dans «un gouvernement qui ne serait pas décidé à s'attaquer à la dépendance pétrolière». Le transport, il en a fait sa chasse gardée, méthodiquement, en commençant dans son XXe arrondissement. Car, «pour percer en politique», il faut, selon lui, «être identifié à une lutte». Le centralien voulait «être aux transports ce que Kouchner est à la santé». Depuis 2001, à l'Hôtel de Ville, il met partiellement en oeuvre un programme rédigé par ses soins. Il a «la satisfaction de changer vraiment les choses, d'améliorer la qualité de vie de centaines de milliers de parisiens. L'aménagement du boulevard Montparnasse, c'est beau, j'en suis fier». Et ce n'est qu'un début ! S'ils le veulent, Baupin promet aux parisiens plein de «nouveaux outils de mobilité» d'ici 2020: le tramway tout autour de la ville, les vélos «en libre service» et même «des voitures partagées».
En attendant, pour devenir ministre, il faut faire gagner la gauche. A la veille de la campagne présidentielle, il a curieusement choisi de rompre avec son ex-patronne Dominique Voynet dont il ne soutient pas la candidature pour la course à l'Elysée. «C'était le prix à payer pour faire entendre ses ambitions. Il se dit que dans un gouvernement de gauche, il n'y aura pas de place pour Dominique et pour son plus proche conseiller», analyse un proche de Voynet, qui juge avec indulgence cette trahison nécessaire. Pour exister, il devait se débarrasser de son étiquette voynétiste. C'est fait, Baupin a tué la mère.
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