Sciences-Po lance aujourd'hui une encyclopédie gratuite sur l'analyse des
violences de masse au cours du XXe siècle. Le projet, dirigé par le professeur Jacques Sémelin, est présenté comme une première internationale.

Le site est ambitieux. De l’aveu de son concepteur, il s’agit même d’un projet «monstrueux par le sujet qu’il traite et par l’ampleur qu’il prend». Après plus de quatre années de travail, Jacques Sémelin, professeur à Sciences Po, a ouvert aujourd’hui massviolence.org, la première encyclopédie en ligne -et très anglophone- sur les violences de masse.
Avec une quarantaine de chercheurs français et internationaux, épaulés par des étudiants de Sciences Po, le directeur de recherche au Centre d’études et de recherche internationales (Ceri) met gratuitement à la disposition de tous une vaste base documentaire sur les destructions de populations civiles au cours du XXe siècle, qui «aura été l’un des plus meurtriers de l’histoire», précise Jacques Sémelin.
Anti-Wikipedia
Massviolence.org vise à rassembler des données éparses, croise les disciplines (anthropologie, histoire, sciences politiques, sociologie), multiplie les approches (étude de cas, index chronologique, glossaire) et fournit une interprétation historique des faits rigoureusement validée en plusieurs étapes. «C’est une première internationale», souligne Sémelin qui a consacré une bonne part de ses recherches aux violences extrêmes.
En 2005, il avait d’ailleurs habilement démonté dans Purifier et détruire (Seuil) les mécanismes qui mènent aux massacres. «Personne n’avait jusqu’alors regroupé, dans un même ensemble, les crimes dans l’Empire ottoman, en Union soviétique, ceux de l’Europe nazie, les génocides au Rwanda et au Cambodge.»
L’équipe du Ceri et de Sciences Po a heureusement privilégié l’outil Internet plutôt qu’une classique encyclopédie papier. Il sera ainsi plus aisé d’actualiser les données, d’ajouter des entrées et, surtout, le site permettra une plus grande audience, notamment auprès des jeunes générations. «Nous avons pensé le contenu en fonction d’Internet et de toutes ses potentialités d’utilisation et de navigation», avance le père fondateur de massviolence.org. qui, à l’heure du participatif tous azimuts, a verrouillé son système. «Les sujets que nous traitons sont bien trop sensibles pour faire comme Wikipedia.» Les internautes ne pourront pas intervenir sur les contributions, ni livrer leurs avis. «J’ai le sentiment de manipuler de la dynamite qui peut m’exploser à la figure à tout instant de la journée», reconnaît Jacques Sémelin.
«Nous ne donnons pas des leçons, mais donnons à réfléchir»
Les controverses liées à l’emploi du mot génocide ne sont qu’une des nombreuses illustrations des polémiques qui agitent depuis plus de trente ans non seulement la communauté scientifique, mais aussi les Etats, les ONG, les tribunaux et les simples citoyens. «Mais que les choses soient claires, démine Sémelin. Nous ne donnons pas des leçons, mais donnons à réfléchir.»
A terme, un forum, voire un espace question, pourraient néanmoins voir le jour. Même s’il regrette que des chercheurs «ne trouvent pas d’intérêt à donner des textes à un site Internet», Jacques Sémelin s’est entouré de spécialistes, assez peu mis en avant sur le site. A l'image d'Annette Wievorka, l’historienne de la Shoah et de l’histoire des Juifs au XXe ; de l’Américain Norman Naimark qui a travaillé sur le nettoyage ethnique ; du spécialiste italien du communisme Marcello Flores ou encore de Nicolas Werth, spécialiste de l’Union soviétique à l’Institut du temps présent, ou encore de l’historien de l’Asie Jean-Louis Margolin.
Appel à la ministre de la Recherche
Massviolence.org s’intéresse d’abord au XXe siècle avant de remonter le temps. Mais, l’équipe a déjà fort à faire pour combler les manques parfois criants sur certaines régions comme la Chine ou les Balkans. Si elle veut s’assurer de l’audience, et même si elle défend un «site de chercheurs», l’équipe devra également envisager à terme un vrai bilinguisme francais-anglais, accroître la "navigabilité" et, surtout, songer à une approche audiovisuelle.
C’est la raison pour laquelle, ce matin sur France Inter, Jacques Sémelin (qui a reçu le soutien de Simone Veil) a lancé un appel à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, pour qu’elle parraine le site et le soutienne financièrement.
LIBERATION.FR : jeudi 3 avril 2008
Commentaires